L'orgue
Philharmonique Welte
Walker


Recherche historique et de contextualisation




Après un séjour d'un siècle aux Étas-Unis, un exemplaire des instruments de musique mécanique les plus accomplis a fait son retour sur le sol européen dans l’espoir de sortir de son silence.

L’instrument fut créé en Forêt-Noire et expédié à un acheteur privé aux États-Unis juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Cet orgue philharmonique Welte se trouve actuellement en pièces dans notre atelier de l’Ardenne belge. Il attend de trouver un lieu et un investisseur pour nous aider à lui redonner sa splendeur d'antan. Une fois restauré, il résonnera à nouveau et l’histoire singulière de ses commanditaires et de ses créateurs sera honorée de manière appropriée.

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Ils sont plusieurs à intervenir dans la genèse de cet orgue Welte ; le premier est Michael Welte (1807–1880). Après avoir été apprenti chez un fabricant de pendules à flûtes en Forêt-Noire, il fonde l'entreprise Welte dans les années 1830. Welte et ses descendants fabriqueront et exporteront des instruments pour les mélomanes les plus exigeants pendant un siècle.

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L'un de ces mélomane fut Hiram Walker (1816 – 1899), un employé d’épicerie né dans une ferme du Massachusetts. Comme Michael Welte, Hiram parvint à créer un empire en partant de rien. Il fit fortune dans la distillerie d'alcool. C’est un de ses fils qui commandera plus tard un orgue Welte pour la maison de vacances de la famille Walker à Boston. Et c'est cet orgue qui se trouve aujourd'hui dans notre atelier. 

Grâce au succès du vinaigre qu’il distillait directement dans son épicerie, Hiram Walker comprit rapidement le potentiel de la distillation d'alcool. Hiram avait le sens des des affaires et rapidement il créa sa propre petite distillerie, fournissant ainsi d'autres épiceries en vinaigre mais aussi en alcool. La demande grandissante, il dut chercher à approvisionner les moulins locaux en grains utilisés pour sa distillerie.
Au milieu du XIXe siècle, face à la demande toujours croissante, Hiram commença à acheter des terres des deux côtés de la rivière Détroit séparant les États-Unis du Canada, afin d’augmenter encore son approvisionnement en céréales. Son succès commercial le força, en 1857, à construire une nouvelle distillerie de whisky encore plus grande. Il choisit de la construire côté canadien de la rivière , les terres y étaient beaucoup moins chères mais, surtout, anticipant le problème, cela permettait d'éviter la loi sur la prohibition qui se profilait aux États-Unis.
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Pour soutenir la croissance de sa distillerie, Hiram fit construire des routes afin faciliter le transport des céréales ainsi que des maisons, une église et une école pour attirer la main-d'œuvre. En 1890, ce coin jadis désert de l'Ontario devint Walkerville. Cette bourgade comptait maintenant 600 habitants, une distillerie entièrement opérationnelle et de petites fermes. La distillerie devint rapidement la plus grande du Canada et le whisky fut renommé ʺ Canadian Club ʺ car seul de l’alcool local pouvait être distribué au Canada. Les Walker contrôlaient alors l'intégralité de la chaîne de production : ils possédaitent les champs, la distillerie et les moulins. Mais ils géraient aussi le transport des grains vers les moulins et la distribution du produit final via le transport fluvial et une ligne de chemin de fer.
L'entreprise familiale Walker a été extrêmement profitable aux États-Unis et au Canada. Bien que le commerce d’alcool fut limité par les lois de prohibition aux États-Unis, la position stratégique de la distillerie sur le versant canadien du Détroit lui permit découler de grandes quantités d’alcool des deux côtés de la frontière. Vivant entre Détroit, le Massachusetts et Walkerville, Hiram Walker mourut à Détroit en 1899 laissant une entreprise florissante à ses deux filles et ses cinq fils.

C'est à peu près à la même époque où Hiram Walker bâtissait son empire en Amérique du Nord que Michael Welte fondait son entreprise dans un tout autre domaine en Allemagne.

À Fribourg, en ce premier quart du XIXe siècle, les pendules à flûtes, jouant chaque heure de petites mélodies sur une série de tuyaux d’orgue, étaient très populaires. Michael Welte maîtrisait à 25 ans la fabrication de chaque élément de ces mécanismes. Ayant confiance en son savoir-faire, il créa, avec son frère aîné, une entreprise dans son village natal. Ils comprirent rapidement que les clients étaient autant attirés par l’esthétique soignée et la sonorité de leurs instruments que pour leur fonction de mesure du temps.
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 Les Welte furent donc parmi les premiers à fabriquer de plus grands instruments aux meubles soignés renfermant plusieurs rangées de tuyaux ainsi que des percussions, prenant ainsi leurs distances avec le monde de l’horlogerie. Ces instruments pouvaient jouer une musique sophistiquée de manière entièrement mécanique grâce à un système des contrepoids. En présentant ses instruments luxueux dans des foires et des palais royaux, Michael Welte en fit rapidement le premier choix de l'aristocratie européenne.
En 1865, le fils aîné de Michael, Emil Welte (1841-1923), se rendit à New York afin d’y ouvrir un bureau et une salle d'exposition. Quelques année plus tard, en 1872, en Europe l'entreprise déménage son siège à Fribourg, grand carrefour ferroviaire européen, pour faciliter ses exportations mondiales,. Michael Welte mourut en 1880, alors que l'entreprise, déjà dirigée par son fils, était l'une des entreprises d'instruments de musique mécaniques les plus modernes et rentables du monde. 

Cinq ans plus tard, un autre fils de Michael, Berthold Welte (1843-1918), révolutionna l'entreprise en remplaçant les encombrants et lourds cylindres en bois, sur lesquels étaient notées les partitions jouées par les instruments, par des rouleaux de papier perforé. Cela signifiait qu'il n'y avait plus de limites à la sophistication des pièces jouées par les instruments. Les rouleaux de papier étaient plus faciles et bien moins chers à produire, la durée des performances était prolongée et le nombre de tuyaux ou d'accessoires sur les instruments pouvait être augmenté et contrôlé automatiquement.
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En 1905, le petit-fils de Michael, Edwin Welte (1876-1958), et son beau-frère Karl Bockisch (1874-1952), commencèrent à adapter le système de rouleau de papier aux pianos. Et en 1910, l'entreprise Welte devint la première au monde à fabriquer des pianos mécaniques capables de reproduire les performances enregistrées des pianistes, avec toutes les nuances qu'elles comportaient. Le système fut baptisé "Welte-Mignon". Ce fut un immense succès et les pianistes les plus célèbres de l'époque se réjouirent de pouvoir enregistrer pour le système Welte-Mignon. Ce système leur donnait la possibilité d’être entendus dans les salons des connaisseurs de musique partout dans le monde, mais aussi de pouvoir laisser trace de leurs propres interprétations pour les générations futures.

Lors de l'Exposition universelle de Turin, en Italie, en 1911, Edwin introduisit le "Welte-Philharmonie-Orgel". Il s'agissait d'un mécanisme Welte-Mignon adapté à un très grand orgue capable de jouer des compositions philharmoniques dans des maisons privées. C’était l’innovation la plus moderne dans le domaine de la reproduction musicale.

Pendant ce temps, aux États-Unis, James Harrington Walker et ses frères poursuivaient les affaires de la distillerie de Walkerville. La famille avait désormais une position dominante dans la société américaine et canadienne. James partageait son temps entre Détroit et Walkerville. Mais la famille n'avait jamais oublié ses origines du Massachusetts et, en 1910, James acheta un cottage idéalement situé à Magnolia, un petit village près de Gloucester, à 70 km au nord de Boston.
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Magnolia était une station balnéaire avec ses maisons face à l'océan et de bonnes connexions ferroviaires. Hélas, un incendie détruisit le cottage des Walker peu de temps après son achat. Il fit reconstruire une maison plus moderne avec des matériaux inhabituels pour l'époque et pour la région, mais, surtout, avec des caractéristiques ignifuges.


Parmi les nombreuses modernités que comportaient cette nouvelle construction, figurait un orgue philharmonique Welte, discrètement placé dans une pièce uniquement destinée à cet effet à côté du salon. Dans les années 1910, c'était l'un des accessoires les plus élégants et modernes qu'une maison pouvait posséder.
Les orgues Welte étaient conçus pour permettre à leur propriétaire d'écouter de la musique philharmonique dans leur salon. À l'époque, le seul autre mécanisme capable de reproduire de la musique orchestrale était le phonographe mais avec une qualité sonore très médiocre. 
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Il n'y a pas de clavier sur cet orgue Welte, il était destiné à jouer uniquement de manière autonome. Sa façade sobre présente simplement le mécanisme accompagné de quelques commandes où les rouleaux de papier pourront être insérés. En plus des tuyaux d’orgue, l'instrument possède une très grosse caisse imitant les timbales, un glockenspiel et un carillon tubulaire. La famille Walker commanda également un large répertoire de rouleaux de musique avec entre autres des extraits d'opéra de Massenet, un concerto de Haendel et un opéra complet de Wagner. Ceux-ci sont restés avec l'orgue jusqu'à ce jour.

Ecoutez un Welte Philharmonique

Danse macabre (Saint-Saëns) - Ouverture de Zampa ou La Fiancée de marbre (Ferdinand Hérold)
      

À cette époque, les instruments de l'usine Welte de Fribourg étaient exportés dans le monde entier. Le système de piano Welte-Mignon fut intégré dans des pianos Steinway et les plus grands pianistes de l'époque se pressaient pour enregistrer pour ce système. Les orgues Welte étaient achetés pour les halls d'hôtels de luxe ou les paquebots transatlantiques. Un orgue fut notamment commandé et intégré à la conception du paquebot Britannic, navire jumeau du Titanic de la White Star Line. Il ne fut cependant jamais installé à bord, Le navire fut réquisitionné par la Royal Navy et transformé en hôpital juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale. En revanche, l'orgue commandé par les Walker pu être achevé et expédié aux États-Unis avant le début de guerre. Il fut probablement l'un des derniers orgues Welte envoyés la-bas avant que les intérêts allemands sur le sol étasunien ne soient nationalisés. Pendant la guerre, l'usine Welte fut endommagée. La famille la reconstruisit et relança l'entreprise après la fin du conflit, mais l'Europe avait changé et il devint plus difficile d'exporter des produits allemands. L'entreprise survécut en fabriquant des orgues d'église. Mais pendant la Seconde Guerre mondiale, l'usine fut complètement détruite – sa position près de la gare de Fribourg étant une cible clé pour les bombardiers alliés – et elle ne fut jamais reconstruite.
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L'usine Welte à Freiburg autour de 1912 et après la seconde guerre mondiale


Bien que la filiale américaine de Welte continua à fabriquer des orgues philharmoniques, ils ne pouvaient rivaliser avec la qualité de ceux fabriqués en Allemagne. D’autres entreprises américaines, comme Aeolian, ont exporté leurs instrument en Europe. Alors que certains fabricants cherchèrent par la suite à fabriquer plus grand ou plus impressionnant, l’entreprise Welte resta, quant à elle, toujours en quête de perfection musicale, rendant ses instruments parmi les plus élégants jamais fabriqués.
Aujourd'hui, seuls quelques orgues philharmoniques survivent. Ceux sans clavier sont encore plus rares. La plupart de ces instruments étaient conçus pour des lieux spécifiques, de sorte qu'ils étaient dépourvus de meuble, cela les a rendus vulnérables aux dommages et a rendu leur installation dans d’autres lieux complexe et onéreuse. Beaucoup furent détruits après l'avènement de l'amplification électrique, qui fit son apparition quelques décennies après l'apogée des orgues philharmoniques. Avec le temps et la disparition des rouleaux de papier contenant la musique, il n'y avait guère d'intérêt à restaurer ces instruments sans clavier. Leur taille empêche souvent un déménagement ou les rendent encombrant pour la plupart des musées.
La plupart des instruments ayant survécu ont été placés dans des meubles construits lors de leur déménagement du lieu pour lequel ils avaient été conçus. Parmi les orgues Welte existant encore aujourd'hui, on retrouve celui qui fut fabriqué pour le paquebot Britannic. Il fonctionne toujours et joue pour les visiteurs du Musée des Automates à Musique à Seewen, en Suisse. Un autre est toujours utilisé dans le Théâtre Victorien de la propriété Salomons à Tunbridge Wells, en Angleterre ; ce dernier est équipé d’un clavier.
Un autre survivant, contre toute attente, est l'orgue Walker dont nous vous avons raconté l’histoire.
James Harrington Walker mourut en 1919, après quoi la maison de Magnolia changea plusieurs fois de propriétaire. Comme l'instrument était situé dans une pièce uniquement dédiée à l’instrument, les propriétaires successifs de la maison n'ont ni déplacé ni essayé de réparer l'orgue. Il semble que l'instrument n'ait pas fonctionné longtemps après sa construction et que la partie inférieure comprenant la soufflerie ait souffert de dommages dus à des inondations.


En 1998, M. Durward Center de Baltimore, un des rares spécialistes des orgues Welte, apprit que l'instrument Walker allait être démonté et probablement détruit. M. Center contacta le propriétaire de la maison de Magnolia et un accord fut trouvé afin de pouvoir démonter et préserver l’instrument. Celui-ci n’ayant jamais été restauré l’ensemble de la tuyauterie et du mécanisme se trouvait dans leur état d'origine. M. Center prit de nombreuses photos lors du démontage de l'orgue et conserva soigneusement toutes les pièces dans un entrepôt à Baltimore.
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C’est en 2015 que nous entrons en scène. Grâce à M. Breitenmoser, spécialiste suisse dans la vente d’instrument de musique mécanique, notre atelier, Pauliphonic, devint le nouveau propriétaire de cet incroyable instrument. Nous nous sommes alors rendus à Baltimore et avons soigneusement emballé et placé toutes les pièces de l'orgue ainsi que ses rouleaux de papier dans un container. Nous avons également reçu les documents détaillés de M. Center sur la manière dont l'instrument avait été démonté. Cent ans après sa création, par la route et la mer, l'orgue fit le chemin retour vers l’Europe pour s’arrêter dans l’Ardenne belge, où il est désormais stocké dans notre atelier.

L'avenir de cet instrument reste incertain et demeure silencieux. La restauration et l'entretien de ces instruments sont très complexes. Il est très difficile sans contextualisation d’expliquer l’intérêt de la préservation de ces instruments. Ils furent fabriqués pour des personnes extrêmement aisées et conçus pour être cachés à l’intérieur de luxueuses maisons, de sorte que peu de gens en ont entendu parler. Ces instruments représentent l'apogée technique des instruments de musique mécaniques. Apogée qui fut de courte durée, l’invention des techniques de diffusion et de reproduction électrique de la musique les rendant rapidement obsolètes.
Ces instruments représentent aussi un certain état d'esprit des classes supérieurs qui existait juste avant le cataclysme de la Première Guerre et plus encore de la Seconde Guerre mondiale. L'orgue Walker sauvé devra probablement encore patienter avant de pouvoir être de nouveau entendu. Mais une chose est sûre : tout comme M. Durward et d’autres restaurateurs passionnés, nous ferons tout notre possible pour rendre cette renaissance possible, tôt ou tard.  

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Pauliphonic

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